La Beauté à genoux by Perry Jacques

La Beauté à genoux by Perry Jacques

Auteur:Perry, Jacques [Perry, Jacques]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Livre de Poche
Publié: 1971-03-07T23:00:00+00:00


CHAPITRE XIV

Lozan ne ressemblait pas à Spiridion. Il ne vivait pas dans une cave et n’avait pas de goût pour l’austérité, mais il était à peu près aussi fou. Il venait de se découvrir marchand avec délices. Il m’aimait comme son père, comme son fils. Il voulait toujours être avec moi, me regarder peindre. Je ne sais pas si c’était moi qu’il aimait ou le peintre. Je lui avais très vite fait comprendre que je voulais bien le voir à peu près tous les jours, mais à condition de ne pas parler peinture. Alors il n’en parlait plus du tout, ne regardait même plus ma femme-paysage. Il s’installait dans mon grand hamac et fumait de longs cigares très minces.

« Tu ne travailles jamais, Lozan ?

— Pour quoi faire ? Tu travailles pour moi. »

Et on riait.

« Ta cote, elle grimpe toute seule. On me propose cher des tableaux de Salti. Patience, je dis, Salti l’a étranglé, ce malheureux Desperrin. Maintenant il se sert de moi pour faire monter la cote des tableaux. Mais je cours partout… »

Nouveaux rires.

« … pour trouver du Desperrin à vendre. J’en ai déjà quelques-uns. À la prochaine exposition, tout sera à vendre. « Pas trop cher ? » demande le client

— « Hélas ! Desperrin, c’est comme un champignon, il a mis trente ans à sortir, mais il pousse tout d’un coup. »

On se tordait. Il y avait deux mois que mes tableaux rapatriés d’Italie étaient entreposés dans une chambre forte du Crédit Lyonnais.

« Pourquoi m’as-tu fourré au Crédit Lyonnais, Lozan ?

— À la galerie, on les dénicherait ; tu ne les confierais pas à Élodie ; ton atelier ne ferme pas et tu serais capable de les donner.

— Mais le Crédit Lyonnais, tout de même !

— La ventilation est très bien faite ; il n’y a pas d’humidité.

— Que faisais-tu avant d’être marchand, Lozan ?

— Ça ne te regarde pas.

— Comment as-tu fait pour acheter cette galerie, feignant comme tu es ?

— Il y a toujours un moment où on peut cravater un peu d’argent. La galerie ne valait rien. Avant moi, c’était un petit vieux qui vendait de la vraie vraie miniature persane, au compte-gouttes. L’idéal pour un marchand, c’est de trouver par hasard un peintre très grand et pas exigeant. Tu es grand…

— Pas exigeant ?

— Si, mais je ne veux rien te refuser. J’avais encore cent mille francs, tu me les croques. Alors, en attendant que tu me les fasses regagner, tu me nourris. »

C’était vrai. Je payais même les cigares.

J’aimais vraiment beaucoup les manières de Lozan. Tous les peintres demandent à leur marchand de leur donner beaucoup d’argent et de s’occuper de tout. J’attendais et recevais beaucoup plus de Lozan. Je voulais qu’il fût entièrement à moi, ne s’occupât que de moi. Ce qui m’étonne le plus, c’est mon exigence après une vie sans exigences. D’où vient que nous sortons tout armés du néant ? Et pourtant je ne piaffais pas. On vit et puis on découvre que c’est bien ainsi qu’il fallait avoir vécu.



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